D’où provient la dette Covid en France ?
Dispositif de chômage partiel, aides liées au fonds de solidarité, prêts garantis par l'État, plan de relance de 100 milliards d’euros… Les dépenses massives de l’État pour soutenir l’économie française face à la crise économique due à la pandémie de Covid-19 sont financées par des emprunts de l’État sur les marchés financiers, via l’émission régulière d’obligations et de bons du Trésor. Parallèlement, le repli de l’activité a creusé le niveau des recettes publiques. Résultat : la crise sanitaire a généré 215 milliards d'euros supplémentaires d'endettement public en France, la dette publique globale passant d’environ 98 % du produit intérieur brut (PIB) fin 2019 à environ 115 % du PIB début 2021.
Ce n’est pas la première fois que les finances publiques pâtissent d’une situation exceptionnelle (chocs pétroliers des années 1970, crise financière de 2008) qui est finalement surmontée par la suite. Sauf que le contexte actuel est particulier. Peut-on vraiment espérer un net rebond de l’économie dans les années à venir une fois la crise sanitaire passée ? Et si le poids de la dette finissait par étouffer la reprise ? Ces questions ouvrent le débat sur la manière de traiter la dette Covid : doit-on purement et simplement l’annuler pour bâtir « le monde d’après » sur de nouvelles bases ? Ou, à l’inverse, doit-on la rembourser pour ne pas briser la confiance des investisseurs dans la dette française, quitte à prévoir des modalités de remboursement sur le long terme ?
Dette Covid : les arguments en faveur de son effacement partiel
Aujourd'hui, la dette française, comme européenne, est détenue essentiellement par des investisseurs institutionnels de type fonds de pension, assureurs et banques commerciales, mais également par des banques centrales. La Banque centrale européenne (BCE) détient ainsi environ 25 % de toutes les dettes publiques nationales de la zone euro.
Certains économistes et personnalités politiques de premier plan en sont convaincus : la dette publique accumulée a atteint un niveau trop élevé pour être honorée dans son ensemble, sauf à envisager une cure d’austérité sévère. Seule une annulation de la dette Covid offrirait aux États les marges de manœuvre nécessaires pour préparer l’avenir.
Dans ce contexte, près de 150 économistes de 13 pays européens ont lancé un appel, le 5 février 2021, à annuler les dettes publiques détenues par la BCE afin de faciliter la reconstruction sociale et écologique européenne après la pandémie de Covid-19. Rembourser la dette Covid impliquerait, selon eux, d’augmenter sensiblement les impôts et/ou de baisser la dépense publique, deux choix aux conséquences sociales et économiques désastreuses. Ces économistes proposent donc de passer un contrat entre les États européens et la BCE. Cette dernière s’engagerait à effacer les dettes publiques qu’elle détient (ou à les transformer en dettes perpétuelles, c'est-à-dire à très longue échéance, sans intérêt) et, de leur côté, les États s’engageraient à investir les mêmes montants dans la « reconstruction écologique et sociale ». Ces montants s’élèvent aujourd’hui, pour l’ensemble de l’Europe, à près de 2 500 milliards d’euros (voir l’appel à l’annulation de la dette Covid).
Dette Covid : les arguments en faveur de son remboursement
La dette Covid serait soutenable à court terme
Sur cette question, tous les observateurs ou presque font le même constat : la dette publique française est soutenable à court terme, même après l’envolée de la dette depuis le début de la crise sanitaire, dès lors que l’État arrive à la rembourser dans de bonnes conditions, sans remettre en cause son train de vie.
La France et les autres États européens bénéficient en effet de taux d’intérêts historiquement bas, voire négatifs, depuis plusieurs années. Ils ont donc pu emprunter tant pour soutenir l’économie que pour honorer leurs emprunts passés. La charge de la dette, c’est-à-dire le montant des remboursements liés aux intérêts des emprunts, a même diminué ces dernières années.
La question est de savoir combien de temps les taux resteront aussi bas. La dette Covid n’en reste pas moins bien réelle et appellera des efforts budgétaires de la part des États. Un retour de la croissance et des taux d’intérêts bas ne suffiront peut-être pas à maîtriser l’évolution de la dette dans la durée. L’ampleur des ajustements nécessaires dépendra de la conjoncture.
La dette de la BCE ne serait techniquement pas annulable
La demande d’annulation par certains économistes de la dette publique détenue par la BCE s’est vu opposer une fin de non-recevoir de la présidente de la BCE, Christine Lagarde, qui considère que cette solution est « inenvisageable » car elle violerait le traité européen qui interdit strictement à la BCE le financement monétaire direct des États. L'annulation de la dette supposerait de réformer les traités et donc d’obtenir l’accord de l'ensemble des États membres de la zone euro. Ce qui risque de ne pas être chose aisée…
L’annulation de la dette risquerait d’impacter négativement l’économie
Deux grands arguments sont également opposés à l’annulation de la dette publique détenue par la BCE :
- d’abord, celle-ci risquerait d’aboutir à une inflation incontrôlée (par le passé, plusieurs pays ont, comme l’Argentine au début des années 2000, connu des périodes d’hyperinflation après avoir connu des défauts de paiement de leur dette) ;
- ensuite, une telle annulation de dette dégraderait fortement la confiance que l’institution monétaire inspire. Elle aurait vraisemblablement pour effet de dissuader pour longtemps les investisseurs qui achètent des titres de dettes publiques de prêter aux États européens, ce qui ferait fortement grimper les taux d’intérêt.
Le Ministre de l’Économie et des finances propose de rembourser la dette Covid grâce aux recettes de la croissance
Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a déclaré le 22 mars dernier vouloir rembourser la dette Covid sans ajouter de nouvel impôt mais en comptant sur la relance de la croissance et sur des réformes structurelles, comme la réforme des retraites, pour l'instant en suspens. L’idée serait d’utiliser une partie des recettes futures issues de l’impôt sur les sociétés lorsque les entreprises renoueront avec la croissance, affirmant que les entreprises rendraient ainsi la pareille à l'État qui les a soutenues financièrement pendant la crise.
Sources : Le Monde – Les Échos - AFP